Alors qu’en 2017 la Cour des comptes faisait une critique virulente des entreprises de sécurité privées, Alice Thourot et Jean Michel Fauvergue, alors députés, ont publié sept mois plus tard un rapport sur la sécurité globale. Ce rapport a permis d’instaurer un dialogue constructif entre les parties prenantes publiques et institutionnelles et de l’industrie privée de la sécurité. Les deux députés ont également apporté des pistes majeures pour améliorer le développement et la perception de ces entreprises de services de sécurité et de défense. C’est dans cette lignée qu’a été écrit, à l’initiative de David Hornus, un ouvrage collectif intitulé Contribution territoriale au continuum de sécurité. Cet ouvrage met en lumière le rôle croissant de ces entreprises dans le continuum de sécurité avec la force publique. Cette contribution a été collectivement produite par des acteurs privés, publics, institutionnels et académiques de la sécurité et académiques, dans la perspective de la parution du livre blanc de la sécurité intérieure annoncé en 2019.
« Seul, l’État ne peut pas tout, mais sans l’État les territoires ne peuvent rien », ces mots de Jean Baptiste Jusot, coordinateur de la « contribution territoriale », résument parfaitement le principe du continuum entre sécurité privée et publique. L’État a le devoir de sécurité de ses citoyens, qu’il exerce par ses fonctions régaliennes, mais, conformément à l’article 72 de la Constitution sur la décentralisation, les collectivités territoriales disposent de pouvoirs leur donnant autorité notamment en matière de sécurité.
On retrouve ce principe de délégation en matière de sécurité au début de l’ouvrage par les interventions des institutions. Ces dernières, et plus particulièrement les collectivités territoriales, jouent un rôle primordial dans la sécurité globale. Etienne Blanc, premier vice-président du conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes, assure, et à juste titre, que la région place la sécurité au centre de ses préocupations. Du fait de la décentralisation, l’État délègue à la région certaines prérogatives de sécurité. Les collectivités territoriales interviennent en assurant, par exemple, la sécurité des lycées, des TER et des lieux publics. Depuis 2016, ce sont 169M d’euros que la région Auvergne-Rhône-Alpes a consacré pour la sûreté des transports et des lieux publics. Depuis la vague des attentats qui ont suivis ceux de 2015, la sécurité est ainsi devenue pour ces dernières un enjeu politique pilier. Ainsi, 10M d’euros ont été investi par la région Auvergne-Rhône-Alpes pour renforcer la sureté de l’espace public de 306 communes et 3 700 caméras de surveillance supplémentaires ont été installées. La Région, en tant qu’institution publique, est donc un acteur majeur du continuum de sécurité. L’ouvrage souligne l’importance du rôle des collectivités territoriales dans la mise en œuvre de la sécurité globale des territoires. La responsabilité pénale des maires, qui peut être engagée notamment sur les questions de sécurité publique, prouve que les communes sont tout autant concernées que l’État par la sécurité.
Au-delà de la nécessité de délégation de la mission de sécurité de l’État vers les collectivités, le point central de cet ouvrage sur la contribution territoriale est le continuum de sécurité privée et publique. Les 23 personnalités qui ont contribués à son écriture insistent sur la nécessité d’accorder un plus grand rôle aux entreprises de sécurité privées en multipliant les coopérations entre privé et public. Claude Fourcaux, secrétaire général adjoint du syndicat des officiers de police, qui a travaillé à la DST ancienne DGSI, témoigne du caractère indispensable de la coopération entre la sécurité publique et privée. Selon lui, c’est un atout dont l’État ne peut se passer, cette coopération permet un renforcement de la sécurité globale. Au temps où il travaillait pour la DST, le ministère de l’intérieur demandait l’intervention d’entreprise de services de sécurité et de défense notamment dans le domaine de la vidéo protection, révélant la place non négligeable de la sécurité privée. Claude Fourcaux appelle tout de même à la vigilance de l’État, en effet, bien qu’une délégation envers la sécurité privée soit nécessaire et efficace, l’État se doit de garder un contrôle sur le déroulement des opérations (ports d’armes, transfert de compétences). L’enjeu d’un continuum entre public et privé repose sur la fiabilité des entreprises privées et sur la confiance que les donneurs d’ordres leur accordent.
L’importance croissante de la fiabilité et de la crédibilité des entreprises de sécurité privées est promue par l’existence d’organismes et d’associations comme ICoCA. L’association du Code de conduite international des entreprises de sécurité privées, permet aux entreprises membres de garantir le respect du cadre légal et normatif, des standards internationaux (norme ISO 18 788). Ainsi, ICoCA exige des entreprises adhérentes une gouvernance qui permet la fourniture de prestations de sécurité responsables vis à vis des droits de l’Homme. L’autre enjeu des entreprises de sécurités privées est d’améliorer la perception du marché. Leur image est souvent ternie par des pratiques désormais bannies. Jamie Williamson ; secrétaire général d’ICoCA constate d’ailleurs que ces entreprises privées interviennent et soutiennent l’action publique en matière de sécurité. La coopération entre sécurité privée et publique est donc bien un enjeu pour la sécurité globale du territoire. Jean-Luc Logel, président d’EDEN (premier cluster des PME françaises de défense, sécurité et sûreté) est d’ailleurs défenseur de cette coopération considérant lui-aussi que c’est une force pour l’État. En effet, pour ce dernier s’appuyer sur les compétences des entreprises de sécurité privées c’est garantir sa souveraineté dans l’univers de la sécurité du territoire. Pourtant, le président d’EDEN déplore un frein à ces coopérations : le processus se décide au niveau national là où les PME sont peu représentés alors qu’elles sont essentielles. C’est l’éternel enjeu de la sécurité privée : se faire entendre au niveau national.
Pour Xavier Pierrot, directeur général adjoint du Groupama Stadium et du projet Arena « La coopération opérationnelle privée/public pour la sécurité est une réalité ». Chargé de la sécurité du stade, ce dernier est un témoin direct de l’action de la sécurité privée dans le cadre d’une mission de service public. Depuis les attentats au stade de France en 2015, la perception du risque a évolué. Son poste de directeur de la sécurité lui a permis de remarquer une évolution en faveur de la coopération privé/public. En cela, il peut être prestataire de l’État (pour les grands évènements/ vaccinodrome), mais aussi l’État peut être son « prestataire » dans l’enceinte du stade. Dans le cadre de partenariats privé/public Xavier Pierrot fait d’ailleurs appel aux forces de l’ordre pour la sécurité des matchs de l’Olympique Lyonnais. Ce type de partenariats illustre l’importance du continuum pour une sécurité optimale.
Face aux déploiements des forces armées françaises dans de nombreuses zones de conflit, à l’augmentation de la délinquance ou encore de la détérioration du climat social, l’intervention des entreprises de sécurité privées devient plus que nécessaires pour compléter l’action sécuritaire de l’État. David Hornus, directeur de Corpguard et membre du comité directeur d’ICoCA, témoigne dans l’ouvrage de l’existence et de la montée en puissance du continuum privé/public. Les opérations, telles que les investigations privées, qui permettent de fournir des éléments de preuves recevables en justice ; ou la lutte contre la corruption qui, conforment à la loi « sapin2 », n’incombe pas à l’État confortent la complémentarité public/privé. Ce continuum ne peut fonctionner qu’à la condition de renforcer ces standards et sa gouvernance. Ce que David Hornus développe en donnant des pistes d’amélioration : élever le niveau de recrutement, renforcer l’encadrement des agents privés et enfin intégrer les jeunes diplômés et les anciens militaires et promouvoir la place des femmes. C’est avec ces réformes que l’industrie de la sécurité privée pourra atteindre le niveau d’excellence qu’on attend d’elle.
Pour créer un climat de confiance envers la sécurité privée, la formation des agents et des dirigeants est primordiale. Laurent Moscatello, commissaire divisionnaire de l’école Nationale Supérieure de Police insiste sur ce point : les cadres dirigeants d’entreprise de sécurité privée doivent être vu, non pas comme uniquement des ancien policiers ou militaires mais avant tout comme des experts en sécurité. C’est pour cette raison que les formations supérieures sont décisives pour l’avenir de la sécurité privé/publique. Dans cette logique, il a créé un partenariat entre la faculté Lyon III et l’ENSP pour former au mieux vers une sécurité globale performante. Par ailleurs, David Cumin, maître de conférence à Lyon III, nous rappelle que la réussite de la coopération entre sécurité privée/publique repose sur une triple condition : la qualité de formation des agents, la régulation par l’État et l’exclusion des fonctions de souveraineté régaliennes.
L’ouvrage sur le continuum de sécurité est un constat objectif de la contribution non négligeables et nécessaires, à la fois des entreprises de sécurité privées, mais aussi des collectivités territoriales. L’amalgame entre gardiennage (surveillance), sécurité (prévention contre les risques et les accidents) et la sûreté (action de prévenir et de gérer les menaces volontaires) ne permet pas aux entreprises de sécurités privées d’atteindre le niveau de maturité de leurs homologues internationaux. Dans les pays anglo-saxons les « private security compagnies » sont clairement identifiées comme autant de partenaire, au profit des entreprises, des États et des institutions.
Pour avancer dans cette expansion de la sécurité privée, c’est à l’État d’agir en imposant aux partis prenants de ne plus acheter aux moins disant, mais d’acheter au juste prix pour des prestations de sécurité responsables. La sécurité est une question trop sérieuse pour refuser l’apport des entreprises privées et des acteurs publics régionaux. Comme le dit Gérard Collomb « La sécurité est la condition première de la liberté »,cette liberté doit avoir un prix, le juste prix de la sécurité.
Hermine de La Rochebrochard – Junior Analyste